Les nanoplastiques sont-ils potentiellement toxiques pour les plantes et le rhizobiote ?

Article dans NanoImpact
Cycle du plastique dans le système pédologique.

Les sols sont en passe de devenir des réservoirs de plastiques en raison du volume de la production mondiale, de leurs modes d'utilisation et d'élimination, mais aussi des faibles taux de récupération. Leur dégradation est causée par de nombreux processus, et cette dégradation conduit à la formation et à la libération de nanoparticules de plastique, les désormais fameux "nanoplastiques".

Or la présence de nanoplastiques dans les sols a un impact direct et indirect sur leurs propriétés et leurs fonctionnements : ainsi, les nanoplastiques peuvent avoir un impact direct sur la physiologie et le développement des organismes vivants, en particulier des plantes, en modifiant par exemple le rendement agricole. Les nanoplastiques peuvent également modifier indirectement les propriétés physico-chimiques des sols et induire la libération de contaminants initialement associés induisant un impact sur le biote des sols, et donc avoir un effet négatif sur le fonctionnement de la rhizosphère. Cependant, tous ces résultats qui sont issus d'expérimentations en laboratoire doivent être pris avec précaution : ils ont été obtenus avec des nanobilles de polymères qui ne sont pas représentatives des nanoplastiques observés dans l'environnement, notamment vis-à-vis de leurs propriétés physico-chimiques de surface.

Une synthèse de la littérature parue en juillet 2023 dans la revue NanoImpact, dans laquelle nous retrouvons notamment des scientifiques des unités Géosciences Rennes et ECOBIO (Université de Rennes, CNRS), met en lumière les connaissances actuelles sur les interactions entre les plantes, la rhizosphère et les nanoplastiques, ainsi que leurs conséquences sur la physiologie et le développement des plantes. Ils identifient les lacunes dans les connaissances et font des recommandations. En compilant les données de la littérature, ce travail fournit un état précis des connaissances actuelles sur les impacts toxicologiques potentiels (toxicocinétique et toxicodynamique) des nanoplastiques sur les plantes et le microbiote racinaire associé, ainsi que sur leurs mécanismes de contrôle.

 

La plupart des études présentent les nanoplastiques comme des polluants émergents capables d'exercer une forte pression sur les écosystèmes terrestres. Ils pourraient modifier les propriétés chimiques des sols, exercer une influence sur le biote et servir de cheval de Troie pour des micropolluants (organiques ou inorganiques) associés (les additifs plastiques, e.g. plomb, chrome, phtalates) ou provenant du sol (e.g. métaux, polluants organiques).

Cependant, des incertitudes subsistent quant à leur impact positif et/ou négatif et aux processus sous-jacents. Sur les plantes terrestres en particulier, les études sur l’écotoxicité des nanoplastiques se sont principalement concentrées sur le polystyrène, sous-estimant ainsi probablement l'impact écotoxicologique d'autres polymères (même si aucune étude n'est disponible sur les impacts cellulaires et moléculaires des autres polymères nanoplastiques sur les plantes terrestres). Cependant, les études menées sur les nanoparticules de polymères n'ont pas abouti aux mêmes conclusions. Autrement dit, il n'y a pas suffisamment de données disponibles dans la littérature pour étayer les impacts écotoxicologiques réels des nanoplastiques seuls, qui font donc encore l'objet de débats. Actuellement, le seul consensus établi est que les nanoplastiques peuvent agir comme une source et un vecteur de polluants métalliques pour les plantes. En outre, on manque cruellement de données sur le comportement des nanoplastiques lorsqu'ils sont introduits dans les sols et, plus important encore, sur leur impact sur l'interaction plante/microbiote racinaire. Les quelques études de terrain existantes ont abordé les difficultés à collecter et à quantifier les nanoplastiques dans les conditions environnementales, ce qui n’a pas permis de réaliser des études expérimentales dans des conditions environnementales réalistes. Sur la base de cet examen détaillé de la littérature, les auteurs identifient les études supplémentaires qui selon eux sont cruciales pour déterminer l’écotoxicité des nanoplastiques du sol à la plante.

 

Quelques recommandations des auteurs :

  1. Si le continuum de taille entre les micro et les nanoplastiques est une question importante pour comprendre la contamination globale de l'environnement par les plastiques (i.e toutes les études qui se sont intéressées à l'impact des plastiques sur les plantes ont considéré les micro et nanoplastiques comme un groupe entier avec un continuum de taille), il est important de considérer que les micro et les nanoplastiques, en réponse à la taille plus petite des nanoplastiques, se comportent différemment en termes de propriétés physico-chimiques et également de toxicité. Par conséquent, de nouvelles études écotoxicologiques doivent être consacrées spécifiquement aux micro et aux nanoplastiques.
  2. Toutes les études réalisées sur l'écotoxicité des nanoplastiques ont été pensées à partir de nanoparticules manufacturées ou de nanoparticules de polymère standard, dont la taille, la forme et les propriétés de surface sont toutefois très différentes de celles observées dans des conditions naturelles (Fig. 1). Par conséquent, toutes les conclusions tirées d'études antérieures doivent être validées à l'aide de modèles de nanoplastiques pertinents pour l'environnement. Dans cette perspective, de nouveaux protocoles pour produire de tels modèles sont à expérimenter.
  3. Une surveillance sur le terrain des nanoplastiques dans le système sol-plante doit être mise en place pour mettre en évidence en situation environnementale réelle les processus à multiples facettes de l'influence mutuelle des nanoplastiques sur le sol et les plantes. Pour aborder cette question, il est donc nécessaire d'identifier les différents types de sols exposés aux déchets plastiques, les sources de contamination plastique et le temps d'exposition aux plastiques dans les sols.
  4. Aucune information n'est disponible sur la concentration de nanoplastiques dans les sols et, plus généralement, dans les échantillons environnementaux : un effort majeur doit donc être fait pour développer des méthodologies analytiques quantitatives. Seul le développement d'une stratégie multi-approches combinant de nouvelles méthodologies analytiques pourrait fournir de telles informations dans des milieux aussi complexes et hétérogènes.
  5. Il n'existe pas d'outils complets pour la détermination quantitative directe des nanoplastiques dans les plantes. Cette information est pourtant absolument nécessaire pour déterminer le facteur de bioaccumulation ou la quantité absorbé. Une méthode de quantification directe basée sur une extraction efficace des nanoplastiques à l'aide, par exemple, de solvants organiques et de méthodes de détection/quantification efficaces (ex Py-GCMS) doit être mise au point.
  6. Il est essentiel d'évaluer les voies d'exposition des plantes dans des conditions d'exposition physico-chimiques pertinentes pour l'environnement (en termes qualitatifs et quantitatifs) afin de déterminer la toxicodynamique et la toxicocinétique des nanoplastiques et des éléments associés dans les plantes. Ces expériences doivent être combinées avec des expériences sur le terrain.
  7. Les mesures doivent être harmonisées entre les différentes études afin de permettre une comparaison des études entre elles, et avec les mesures environnementales, qu'elles soient mesurées ou extrapolées.
  8. La connaissance des interactions entre les nanoplastiques et les contaminants est nécessaire pour évaluer leurs effets potentiels de cocktail et de cheval de Troie sur les plantes. Des modèles d'adsorption doivent être développés pour identifier et quantifier les mécanismes impliqués. Le potentiel des nanoplastiques à favoriser la bioaccumulation et le transfert dans la chaine trophique des contaminants associés doit également être clarifié.
  9. L'impact toxicologique (toxicodynamique et toxicocinétique) des nanoplastiques sur les plantes dépend des paramètres biophysiques des sols, de la faune, de l'activité et de la diversité microbienne. Il serait intéressant d’étudier par exemple la capacité des nanoplastiques à modifier le pH du sol, la capacité d'échange cationique, l’agencement des agrégats, et leurs conséquences sur l'altération du microbiote du sol.
  10. Enfin, on sait peu de choses sur les facteurs qui influencent l'absorption, la translocation et le devenir des nanoplastiques dans les plantes/microbiote racinaire, autrement dit la toxicocinétique, en dehors de la charge de surface (Fig. 2). À ce jour, aucune étude n'a examiné si les processus rhizosphériques contrôlaient la biodisponibilité des plastiques dans les plantes. Des études utilisant plusieurs espèces végétales, incluant des espèces d’intérêt agronomiques et des espèces sauvages, sont donc nécessaires pour évaluer le risque de transfert dans la chaîne alimentaire.

Référence
Masson D, Pédrot M, Davranche M, Cabello-Hurtado F, Ryzhenko N, El Amrani A, Wahl A, Gigault J. Are nanoplastics potentially toxic for plants and rhizobiota? Current knowledge and recommendations. NanoImpact. 2023 Jul;31:100473. doi: 10.1016/j.impact.2023.100473. Epub 2023 Jun 29. PMID: 37392957.

Fig. 1 : Observation par microscopie électronique à transmission de a) nanoplastiques manufacturés (nanobilles de polystyrène généralement utilisées comme norme/modèle pour les nanoplastiques) b) un nanoplastique extrait d'un sol contaminé par un compost ménager enrichi en débris plastiques (Wahl et al., 2021) montrant la forme asymétrique

Fig. 1 : Observation par microscopie électronique à transmission de a) nanoplastiques manufacturés (nanobilles de polystyrène généralement utilisées comme norme/modèle pour les nanoplastiques)
b) un nanoplastique extrait d'un sol contaminé par un compost ménager enrichi en débris plastiques (Wahl et al., 2021) montrant la forme asymétrique

Fig. 2. a) Absorption et translocation des nanoplastiques dans la plante : influence de la charge de surface et de la libération potentielle de contaminants, b) Risque de transfert dans la chaîne alimentaire via le microbiote du sol et le rhizomicrobiote.

Fig. 2. a) Absorption et translocation des nanoplastiques dans la plante : influence de la charge de surface et de la libération potentielle de contaminants, b) Risque de transfert dans la chaîne alimentaire via le microbiote du sol et le rhizomicrobiote.