Le spécimen étudié par Lemierre et al. (2023) a été découvert par Yves Milon le 7 juillet 1922 dans une carrière de chaux de Chartres-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Cette étude célèbre les 100 ans de la découverte, précieusement consignée dans les carnets de terrain du chercheur conservés au Musée de géologie de l’Université de Rennes. Le spécimen a été retrouvé dans les collections et les informations ont été recoupées avec les archives historiques du musée (Figure 1). Il est effectivement rare d’obtenir des informations aussi précises sur un spécimen trouvé il y a un siècle.
Distinguer des espèces parmi les restes fossiles d’anoures est très difficile. Leur anatomie osseuse ayant été préservée au cours du temps, le spécimen a été attribué à un complexe d’espèces morphologiquement proche de l’espèce actuelle Pelophylax kl. esculentus. En Europe, les grenouilles Ranidae sont constituées de deux genres : Rana (grenouilles brunes) et Pelophylax (grenouilles vertes). Même si quelques rares fragments osseux aussi anciens existent, le spécimen décrit constitue la plus ancienne occurrence de squelette articulé de grenouille verte au monde, datée d’environ 30 millions d’années (Rupélien inférieur).
Il est très proche également de Pelophylax aquensis, une espèce commune dans les sites à préservation exceptionnelle un peu plus jeunes, du Rupélien supérieur, dans le sud de la France. Ces sites sont les témoins d’anciens lacs au fond desquels se sont déposés les restes fossiles de grenouilles, de poissons, de feuilles de nénuphars, de graines … Des tissus sont également préservés notamment, ici, l’empreinte de la peau (Figure 2).
Les grenouilles vertes seraient apparues en Asie il y a 35 millions d’années et auraient très rapidement conquis l’Ouest de l’Europe, avec ce nouveau témoin en Bretagne 5 millions d’années plus tard. Cette diversification rapide serait à mettre en lien avec « la Grande Coupure » à la transition Eocène-Oligocène durant laquelle se produit un renouvèlement faunique important au sein des amphibiens, profitant des niches écologiques libérées par les espèces disparues.
Figure 1 : Spécimen de grenouille récolté dans les « argiles à poissons » indiquées par la flèche noire (vue de la carrière). En bas à droite : Yves Milon et deux ouvriers lors de ses fouilles dans l’Oligocène de Chartres-de-Bretagne en juillet 1922.
figure 2 :Grenouille verte (Pelophylax kl. esculentus) de l’Oligocène de Chartres-de-Bretagne. A) Individu articulé, coll. Musée de géologie, Université de Rennes ; B) Interprétation ostéologique ; C) Reconstitution de l’animal avec en blanc les éléments préservés (squelette postcrânien).
Résumé
Les ranidés représentent une part importante de la diversité actuelle des anoures d’Europe. Pelophylax est l’un des genres les mieux connus (grenouilles vertes) et apparaît en Europe durant la transition Eocène-Oligocène, avec de nombreux restes fossiles dans les sites oligocènes européens. Malheureusement, la plupart de ces restes correspond à des os isolés, entravant notre compréhension de la diversité et de l’évolution du genre sur cette période. Nous décrivons ici une grenouille exceptionnellement bien préservée de l’Oligocène inférieur de Chartres-de-Bretagne (Ouest de la France). Bien que la tête soit absente, ce spécimen préserve presque la totalité du squelette postcrânien en connexion et l’empreinte de la peau. La description ostéologique permet d’assigner ce spécimen à Pelophylax, ce qui en fait la plus ancienne occurrence du genre. Il présente des affinités avec Pelophylax aquensis de l’Oligocène supérieur de France. De plus, la présence de ce genre en Europe de l’Ouest pendant l’Oligocène inférieur indique qu’il était déjà largement réparti en Europe, moins de 5 millions d’années après son émergence dans la partie est du continent. Cela confirme que Pelophylax bénéficie de l’extinction des autres taxons de grenouille durant la « Grande Coupure ».
Référence
Lemierre Alfred, Gendry Damien, Poirier Marie-Margaux, Gillet Valentin & Vullo Romain. 2023 The first European 'true' Ranidae ? An exceptionally well-preserved Pelophylax from the earliest Oligocene of Chartres-de-Bretagne (NW France). Journal of Vertebrate Paleontology, article e2191663, doi:10.1080/02724634.2023.2191663